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Le Yaka-Yaka, cette danse ressuscitée qui frappe aux portes du patrimoine culturel mondial de l’UNESCO

Le Yaka-Yaka est une danse mystique en pays Kamara, peuple de la région du Bounkani (Nord-Est ivoirien), dont la pratique a été progressivement abandonnée au fil des ans du fait de la pratique religieuse de l’Islam. Elle a été révélée 30 ans plus tard à la faveur d’un festival au cours duquel les participants ont été séduits par sa spécificité et son originalité. Son inscription sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO est en cours d’étude.

Retour sur les péripéties de cette danse qui suscite tant de curiosité et d’admiration et dont l’incroyable retour sur scène après plusieurs décennies d’absence demeure à ce jour le plus grand phénomène culturel de la région du Bounkani.

Le Yaka-Yaka originel et son déclin au milieu des années 80

Appelé à l’origine ”Ban-Kpièra” qui signifie littéralement en langue Kamara ”connaître avant d’entrer”, le Yaka-Yaka est une danse funéraire exclusivement exécutée par les initiés (hommes et rarement des femmes) lors du décès d’un patriarche. Selon le doyen Kassoum Kamara, la danse était exécutée dès le premier jour de l’enterrement du défunt patriarche, à partir de la tombée du soleil et se poursuivait sur sept jours. Munis de baguettes de bois, les initiés esquissaient avec dextérité les pas du Yaka-Yaka chaque soir. Les bâtons ou baguettes de bois utilisés provenaient d’un arbuste appelé ”Zabracoh”.

Au septième jour, les danseurs quittaient le lieu de danse, pour se rendre dans un lieu dont eux seuls ont le secret et y laissent les baguettes avant de retourner au village, signe de levée de deuil. Sur le chemin du retour, ceux-ci devraient courir sans regarder en arrière et prendre garde à ne pas tomber car un grand malheur s’abattait toujours sur celui qui trébuchait et tombait en cours de route.

Les danseurs du Yaka-Yaka étaient donc des personnes qui étaient conscientes de leur rôle dans la société Kamara et des interdits qu’ils ne devaient pas franchir.

Du fait du modernisme et de la propension de l’Islam, la communauté Kamara va progressivement abandonner cette danse majeure de son patrimoine.

En effet, les gardiens de la tradition expliquent qu’avec l’évolution de l’Islam, de nombreux patriarches convertis à cette religion ne voyaient plus l’utilité de cette danse pour leurs funérailles, parce qu’ils jugent cela contraire aux pratiques recommandées par le Coran.

Le désintérêt pour le Yaka-Yaka a donc commencé à prendre forme et à envahir la communauté Kamara. La dernière apparition véritable du Yaka-Yaka remonte au milieu des années 80.

Depuis lors, cette communauté n’avait plus de danse authentique véritable à démontrer au cours de grandes cérémonies, un véritable handicap culturel pour les hommes et femmes de ce groupe ethnique. Les danses des autres communautés telles que le Bouri en pays Lobi et le Kroubi en pays Malinké étaient les danses fièrement exhibées et qui valorisaient ces deux groupes ethniques.

Ainsi, la communauté Kamara, faute de danse notable, a été donc depuis les années 80 mise sous l’éteignoir.

La résurrection du Yaka-Yaka 30 ans plus tard et son impact social

C’est en fin 2015 que l’un des cadres Kamara de Bouna, en l’occurrence l’administrateur civil Kamara Moumouni, par ailleurs membre du commissariat général du Festival des arts et cultures du Bounkani (FESTIBO), va particulièrement se pencher sur cette danse. Il espérait lui donner ses lettres de noblesse, la voir sortir de l’ornière pour être présentée à ce Festival, le plus grand rendez-vous culturel de la région.

”En tant que membre du commissariat général du FESTIBO, donc agent de promotion de culture, je ne pouvais pas laisser notre danse mourir, il fallait faire quelque chose pour la sauver”, a-t-il expliqué.

Vu qu’il s’agit d’une danse hautement mystique, l’homme de culture va la valoriser en la ”désacralisant”. Ce, malgré les avertissements des vieux de la communauté qui craignaient pour la vie de ce cadre. De retour à Bouna, des sacrifices sont faits par les anciens et le Yaka-Yaka nouvelle version est autorisé à être présenté au grand public. L’adresse de cette danse aura un très grand impact sur la deuxième édition du FESTIBO à Bouna.

Pour le commissaire général du FESTIBO, Dah Germain, le Yaka-Yaka n’était pas du tout connu du grand public. “C’est lors de la deuxième édition en 2015 que nous avons découvert cette magnifique danse Kamara qui a incroyablement fait vibrer tout le public. Et ce, grâce à Kamara Moumouni qui a jugé opportun de faire revivre cette danse jadis pratiquée lors des obsèques des patriarches Kamara. Notre approche en tant que promoteur culturel était non seulement de réhabiliter cette danse, mais aussi de la transmettre à une nouvelle génération”, a relaté M. Dah.

Le Yaka-Yaka, danse ressuscitée après 30 années de silence, a fait sensation lors de l’édition 2015 du FESTIBO qui a été sa première apparition publique. En 2016, la troupe qui l’a exécutée a été sacrée meilleure troupe de danse de la région du Bounkani. Cette troupe était composée de jeunes Kamara dont l’âge oscille entre 25 et 35 ans.

Son impact social est remarquable, la troupe a obtenu comme prix au FESTIBO, la construction d’une école maternelle toute équipée dans le quartier Kamarasso de Bouna, une infrastructure qui permet aux enfants de la ville sans exclusive d’avoir accès à une éducation scolaire complète.

”Cet ouvrage réalisé par le conseil régional du Bounkani, avec à sa tête le président Hien Philippe, à hauteur de 30 millions de francs CFA, constitue la récompense de la victoire du Yaka-Yaka au Festibo en 2016″, a indiqué le commissaire du Festival.

Présentation scénique du Yaka-Yaka, une danse aux particularités atypiques

Le Yaka-Yaka est une danse qui réunit style et esthétique. Au niveau de la configuration sur scène, les danseurs s’alignaient à l’origine, par ordre de grade mystique. Aujourd’hui, c’est selon l’âge des danseurs. Ils forment un grand cercle autour des percussionnistes qui, au centre de ce cercle, leur distillent un rythme frénétique. Ainsi, chaque danseur, muni d’une baguette de bois, frappe celle de son voisin de gauche et de droite de façon synchronique en progressant le long du cercle.

Les danseurs font une demi-rotation du buste pour donc frapper de part et d’autre les baguettes qui sont décorées en fonction de la couleur des vêtements des danseurs. La danse suit la cadence des chants à l’unisson interprétés par des femmes adultes. Les instruments de prédilection sont le tam-tam, le tambour principal et le tambourin. Au fur et à mesure que le rythme s’intensifie, les danseurs font alors appel à leur dextérité en se frappant les baguettes deux fois, trois fois, voire plus, sans embrouille et surtout sans se regarder les uns les autres. Et c’est justement cet aspect exceptionnel de la danse qui plonge les spectateurs dans l’extase et l’admiration totale.

Les vêtements de scène sont également atypiques. Il s’agit d’une tenue Dagomba, peuple du Ghana, qui avait accueilli la communauté Kamara avant qu’elle ne migre dans l’actuelle Côte d’Ivoire. La tenue s’appelle en langue Kamara ”Dagban-kpargou”, un demi boubou et une culotte traditionnelle. Lors de la pirouette des danseurs, le boubou s’enfle d’air, dessine une forme esthétique qui, avec la danse, confère au danseur une allure de mascotte, l’une des actions très appréciées des spectateurs. Un chapeau à la couleur du boubou coiffe toujours la tête des danseurs. Ce qui offre une élégance et une belle vue de l’ensemble chorégraphique.

Le président du conseil régional du Bounkani, Hien Philippe, estime que cette danse est l’une des plus impressionnantes de la région. ’’Sa particularité, elle ne se danse pas comme les autres, on y voit les danseurs virevolter, avec des tenues qui participent à la danse, des petits bouts de bois qu’ils ont et qui certainement passent un message que nous autres ne comprenons pas. C’est surtout beau à voir et ça ne passe pas inaperçu, c’est vraiment de l’art’’, a souligné M. Hien, initiateur du Festival qui a révélé cette danse au grand public.

Exportation et postérité du Yaka-Yaka

Depuis son apparition au grand public, le Yaka-Yaka est devenu de plus en plus populaire. Toutes les communautés vivant à Bouna esquissent les pas de cette danse. Il est fréquent de voir des adolescents effectuer des cercles et s’adonner au plaisir de cette danse. Au sein de la communauté Kamara, la relève est assurée. Les enfants de tous les âges en ont la maîtrise. Il ne s’agit plus du Yaka-Yaka originel avec son aspect sacré, mais un Yaka-Yaka qui a conservé sa configuration scénique et qui est désormais dansé en période de réjouissances.

Aucune cérémonie de grande envergure ne peut aujourd’hui se faire sans le Yaka-Yaka qui imprime sa marque dans l’univers des danses de la région.

Selon Dah Germain, parmi plusieurs troupes issues du FESTIBO invitées à participer à des festivals et autres manifestations culturelles hors de la région du Bounkani, c’est le Yaka-Yaka qui a été justement le plus sollicité à ce jour.

Cette particularité en dit long sur cette danse qui est un produit ’’made in Bounkani “ à même de vendre l’image de la région sur le marché des arts du spectacle”, a-t-il fait savoir.

Et c’est à juste titre que la troupe Yaka-Yaka a participé à Yamoussoukro, du 16 au 19 décembre 2021, à la Semaine nationale des art et cultures (SNAC), un rendez vous culturel qui a pour objectif d’amener les 31 régions du pays à présenter ce qu’elles ont de spécifique en matière de danse.

Au sortir de ces festivités, le directeur général de l’Office ivoirien du patrimoine culturel (OIPC), Aka Konin, avait trouvé que cette danse avait une originalité sans pareil.

“Il a donc demandé une documentation sur le Yaka-Yaka afin de monter un dossier qui vise à inscrire le Yaka-Yaka sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO”, a témoigné le directeur régional de la Culture et de la Francophonie du Bounkani, Jean-Yves Séri.

Selon le directeur régional, cette danse pourrait retrouver les autres danses ivoiriennes déjà inscrites à l’UNESCO, que sont le Zaouli en pays Gouro (Centre-Ouest) et le Djéguélé en pays Sénoufo (Nord). Si cette initiative aboutit et que cette danse parvient à être inscrite sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO, elle n’appartiendra plus à la Côte d’Ivoire, mais à l’humanité. ”Elle deviendra désormais une référence, voire un label, ce qui est une réelle fierté”, a-t-il indiqué.

Pour le promoteur du Yaka-Yaka, Kamara Moumouni, c’est une haute satisfaction car cette danse majeure à travers laquelle le peuple Kamara de Bouna s’identifie avec fierté, renait de ses cendres pour un avenir glorieux.

”Notre plus grande fierté, c’est d’avoir fait sortir de l’oubli un grand patrimoine culturel, le Yaka-Yaka qui allait à sa perte et qui, par notre action, demeure une danse forte, adulée par tous, transmise aujourd’hui aux futures générations et peut-être bientôt à toute l’humanité”, a-t-il déclaré.

Le président du conseil régional se dit heureux d’avoir eu le nez creux de lancer le FESTIBO, festival qui a révélé le Yaka-Yaka au grand public. Hien Philippe appelle à l’émulation culturelle des communautés afin de déceler et mettre au grand jour, les patrimoines encore méconnus de la région et qui pourraient bénéficier d’une attention particulière, comme le Yaka-Yaka.

’’Le Bounkani est riche de sa diversité. Aujourd’hui, ce sont les Kamara qui nous mettent à l’honneur, demain ce sera certainement une autre communauté. On attend de tout le monde qu’il puisse porter haut, un pan de la culture de cette riche région pour qu’elle puisse en retirer les retombées pour son développement, dans la parfaite cohésion’’, a indiqué le président Hien Philippe.

Source: AIP

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