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Régie des chemins de fer Abidjan-Niger

La Régie des chemins de fer Abidjan-Niger fut la régie chargée pendant l'époque coloniale d'exploiter le chemin de fer reliant la Côte d'Ivoire à la Haute-Volta (ancien nom du Burkina-Faso) au sein de l'Afrique occidentale française.

Malgré la dissolution de la régie en 1989 et sa privatisation ultérieure, l’Abidjan-Niger reste le terme désignant la ligne internationale reliant les deux pays.

Aux origines de la ligne : une affaire essentiellement militaire
Dans les années 1880, de nombreuses expéditions cherchent à étendre l’influence française dans l’interieur du pays. Parti du haut-Niger courant 1887, le capitaine Louis-Gustave Binger fait son entrée dans l’important centre de commerce de Kong le 20 février 1888. Il en repart aussitôt pour explorer les régions situées à l’est du Comoë et le pays Mossi, allant jusqu’à la capitale Ouagadougou. De retour à Kong le 5 janvier 1889, Louis-Gustave Binger y rencontre Marcel Treich-Laplène venu à sa rencontre depuis la côte. à eux deux, ils arrachent la signature d’un traité de protectorat. Ils repartent alors pour la côte et arrivent à Grand-Bassam le 20 mars 1889. La Côte d’Ivoire est érigée en colonie autonome le 10 mars 1893, avec Grand-Bassam pour capitale et Louis-Gustave Binger comme premier gouverneur. La principal opposant à la colonisation, Samory Touré, est capturé par surprise par le détachement du Commandant Gouraud à Guilémou le 29 septembre 1898. La mise en valeur de la nouvelle colonie peut désormais commencer. Mais un simple regard sur une carte de géographie montre l’étendue des difficultés : le sud est recouvert par la forêt tropicale, qui s’étend du Libéria à la Côte d’Or sur une largeur atteignant parfois 300 kilomètres, à l’exception du pays Baoulé, une région de savane située entre le N’zi et le Bandama qui s’enfonce dans la forêt jusqu’à 120 kilomètres de la mer. C’est la « voie naturelle » pour accéder aux régions soudanaises situées au nord de Kong, Korhogo et Odienné. Battue par la houle, la côte est plus qu’inhospitalière et présente une barre caractéristique, rendant difficile l’accostage des embarcations de faible tonnage. Dans sa partie est, elle est longée sur près de 140 kilomètres par la lagune Ebrié, qui communique avec la mer par l’embouchure du fleuve Comoé près de Grand-Bassam.

Les solutions ne manquent pas : le capitaine Marchand, qui effectue une reconnaissance des rivages de la Côte d’Ivoire et du Soudan entre février 1893 et février 1894, préconise une liaison ferroviaire entre les hautes vallées du Bandama et du Bogoé. Louis-Gustave Binger a son propre projet de liaison ferroviaire partant du cours inferieur du Comoé pour joindre l’arrière-pays.

En novembre 1898, le capitaine Houdaille est chargé d’une mission de reconnaissance. L’objectif est l’étude d’une voie de pénétration vers le Kong. Partant d’Alépé, terminus de la navigation à vapeur sur le Comoé, la mission effectue tous les relevés topographiques nécessaires à la conception d’un tracé de 90 kilomètres environ, allant jusqu’à Mopé par Memmi, Danguira, et Kodiosou. D’autres reconnaissances étudient des extensions de Mopé au N’zi par Aféré, Bakon, Abongoua, et Assié Kokoré; de Mopé à Arrah par Akoupé, et enfin d’Abidjan à Alépé en contournant la lagune Potou. Entre temps, l’étude d’une coupure dans le cordon littoral, à Grand-Bassam, est lancée. Le comité directeur des travaux publics étudie les divers projets le 18 novembre 1899. S’il les approuve dans l’ensemble, les embranchements d’Abidjan et d’Arrah sont classés en « deuxième urgence ». Le manque de ressources financières empêche tout commencement des travaux. Seul le wharf de Grand-Bassam est mis en service en 1901. Au même moment, la mission Aron part à la recherche d’un emplacement plus favorable à la construction d’un port. Le site d’Abidjan, sur la lagune Ebrié, est retenu. On décide donc d’y reporter l’origine de la ligne. Un premier projet de concession à la Société parisienne pour l’industrie des chemins de fer et des tramways électriques, en juillet 1901, ne connaît aucune suite. De janvier à juillet 1903, une nouvelle mission est confiée au capitaine Crosson-Duplessis. Elle étudie un nouveau tracé de 79 kilomètres de long, joignant Abidjan à Ery-Macouguié, première section du futur chemin de fer

La construction des Chemins de fer de la Côte d’Ivoire
La loi du 5 juillet 1903 autorise le gouverneur général de l’AOF à contracter un emprunt de 65 millions de francs destiné à l’exécution de travaux d’utilité publique. Un décret du 23 juillet autorise ce même gouverneur général à emprunter immédiatement 40 millions sur cette somme, dont 10 destinés à la construction du chemin de fer de la Côte d’Ivoire. Le 27 juillet 1903, le comité des travaux publics approuve l’avant-projet Crosson-Duplessis. Un décret du 6 novembre débloque une somme de 6 175 000 francs pour l’ouverture des travaux de la première section, entre Abidjan et Ery-Macougnié. Enfin, un arrêté du 21 novembre nomme le commandant du génie Houdaille directeur du chemin de fer. Il organise aussitôt celui-ci en quatre sections :

– Service de la direction
– Service du chemin de fer (qui crée aussitôt un service étude de 70 hommes placés sous la direction du capitaine Hornet)
– Service du port
– Service sanitaire

Le personnel européen débarque à partir du 28 novembre et commence à organiser les chantiers. Les travaux préliminaires débutent en décembre 1903, tandis que les premières commandes de matériel sont passées à Paris. Sur place, le capitaine du génie Thomasset procède au débroussaillage du plateau et au recrutement et à l’installation des travailleurs indigènes. Un campement pouvant recevoir 360 ouvriers est installé à Petit Bassam. Comme au Sénégal et au Soudan, on recrute les premiers travailleurs parmi les Kroumans. Si le premier coup de pioche est donné le 11 janvier 1904, ce n’est que trois jours plus tard que le gouverneur Clozel procède à l’ouverture officielle des chantiers. Pour la construction, on décide de procéder par bonds de 8 à 10 kilomètres, en posant la voie au fur et à mesure. Les officiers estiment cette méthode préférable, car le portage des vivres et du matériel à dos d’homme est impossible. Si l’on y est réduit, avant 3 mois, l’hostilité des habitants se traduirait par des coups de fusil.

Rentré en France le 3 février 1904, le directeur procède aussitôt à l’organisation de ses services, organisation qui entre en vigueur au 1er mars. Au 1er avril, les travaux ont déjà bien avancés : la plate-forme du chemin de fer atteint le PK 8, tandis qu’une voie Decauville utilisée pour le transport des vivres et des matériaux, sur laquelle circule quotidiennement une « voiture à pétrole », est posée jusqu’au PK 6. Cette voiture à pétrole est d’ailleurs le seul matériel disponible à l’époque, la livraison des locomotives et des rails ayant pris beaucoup de retard.

Un appontement en fer et maçonnerie, de 30 mètres de long sur 13 de large, est crée à Abidjan pour le débarquement du matériel. Une autre installation de même nature, de 70 mètres de long sur 18 de large, est presque terminée à Anouabo pour la desserte de la gare des marchandises. Cinq bâtiments à fonction de logement, des locaux accessoires, deux magasins, un atelier à bois, un atelier à fer sont édifiés en maçonnerie et en brique en moins de deux mois. Une petite usine comprenant un moteur à pétrole, un plan incliné, une machine à glace, et une dynamo électrique pour la fourniture du courant sont installés sur le plateau. Une infirmerie-hôpital desservie par une voie ferrée de 1300 mètres de long traversant la future ville d’Abidjan est en cours d’exécution. Enfin, le service des travaux crée une petite flottille composée de 6 unités dont un remorqueur à vapeur et deux chalands. Elle est avant tout destinée aux transports du personnel et du matériel.

L’effort est considérable. On utilise des techniques nouvelles pour l’époque, tout d’abord en dissociant les travaux d’avancée de la voie des travaux d’installation de la tête de ligne. Le début des travaux est marqué par des conditions très difficiles : quatre quarantaines dues à la fièvre jaune isolent Grand-Bassam, point de débarquement du matériel, à compter du 28 novembre 1903. Mais l’affaire est bien engagée, et un décret présidentiel du 23 septembre 1904 autorise le prolongement des chemins de fer de la Côte d’Ivoire sur 22 kilomètres à partir d’Ery-Macougnié.

Fin 1904, les levers de tracé sont effectués jusqu’au PK 45, le piquetage définitif jusqu’au PK 37, le déboisement jusqu’au PK 30,5, les terrassements jusqu’au PK 29, et la voie est posée jusqu’au PK 11. La gare d’Abidjan-Lagune est en cours d’équipement. Quelques essais de pose de la voie ont lieu avec des traverses en ciment armé, mais ce n’est pas un franc succès. Le 1er décembre 1904, les 400 Kroumans sont rapatriés et remplacés par 700 ouvriers venus du cercle de Cavally. Les 50 Bondoukous rentrent aussi dans leur pays d’origine, remplacés par 200 à 300 ouvriers de la même région. Le gouvernement du Dahomey envoie 300 à 400 Nagots tandis qu’on attend un certain nombre de travailleurs en provenance du cercle de Kong. Peu après, le capitaine Crosson-Duplessis est nommé directeur du chemin de fer et du port.

Un arrêté local du 15 avril 1905 autorise l’exploitation provisoire de la section d’Abidjan-Lagune à Anyama (le public et les marchandises empruntant le fourgon des trains de service). Au cours de l’année, les études du tracé jusqu’au N’zi sont présentées, tandis que le capitaine Calmel dirige une nouvelle reconnaissance du tracé jusqu’à Katiola. Au premier trimestre 1906, ces études sont entravées par des incidents d’ordre politique qui ont troublé la région et ont amenés la désertion des manœuvres Albés. Le recrutement est ensuite tari par une épidémie de variole sévissant dans les villages voisins de M’Accagnié : le 20 mars 1906, l’effectif des travailleurs est tombé à 40.

La section Abidjan-Ery Macougnié est terminée en octobre 1906. Le 1er avril 1907, le rail et la ligne télégraphique atteignent Agboville, au PK 82. Un premier ouvrage d’art métallique de 75 mètres de long est en construction pour le franchissement de l’Agnéby.

En attendant, le capitaine Crosson-Duplessis diffère l’ouverture à l’exploitation provisoire de la première section, estimant le matériel insuffisant (il n’aurait permis l’organisation que d’un seul train… par semaine !) et l’état de la voie comme une gêne considérable. Ce n’est que sur pression du gouverneur général de l’AOF et contre l’avis des responsables que l’exploitation commence de façon régulière jusqu’à l’Agnéby le 1er juillet 1907.

Vers Bouaké
La loi du 22 janvier 1907 autorise le gouvernement général de l’AOF à contracter un emprunt de 100 millions de francs. Sur cette somme, 22 millions sont réservés à la Côte d’Ivoire et permettent en théorie le financement des travaux au-delà du PK 101, terminus initialement prévu de la section d’origine. Les études du tracé de la troisième section dans la région des Baoulés (au delà de la rivière N’zi) commencent le 18 janvier 1907 avec une brigade du génie composée d’un officier, de 3 sous-officiers, et de 40 à 60 manœuvres. Le projet définitif est transmis au département des travaux publics par le gouverneur général de l’AOF le 17 avril 1908, et approuvé dans son ensemble. Une augmentation substantielle des effectifs du personnel africain permet d’accélérer la cadence : le rail atteint bientôt Tiemélèkro, tandis que la plate-forme arrive au N’zi qu’il reste à franchir grâce à un viaduc de 255 mètres de long. Le rail ne progresse donc plus que de 20 kilomètres en 1909, atteignant la rive gauche de la rivière où une gare provisoire est édifiée. Quoi qu’il en soit, la forêt équatoriale est enfin traversée, et le chemin de fer peut devenir un instrument essentiel dans la mise en valeur de la Côte d’Ivoire. Malheureusement, le percement du cordon littoral a échoué, et la liaison entre Abidjan et le wharf de Grand-Bassam reste assurée par la voie lagunaire, ce qui nécessite des ruptures de charges. Le chemin de fer connaît bien vite ses premiers problèmes. L’insurrection des tribus Abbey, N’Bon, et Agba, le 6 janvier 1910, interrompt la circulation des trains des 7 au 22 janvier et nécessite pendant tout le premier trimestre des méthodes d’exploitation spéciales. Toutes les gares sont occupées militairement et les wagons de voyageurs systématiquement fermés. Chaque convoi est précédé de wagons de marchandises tandis qu’un train blindé portant une escorte de tirailleurs ouvre la marche. Les chantiers de coupeurs de bois établis le long de la voie sont désorganisés par l’insurrection, les fils télégraphiques sont coupés. Entre Anyama (PK 23) et Céchi (PK 123), la voie est coupée en de nombreux points, les gares sont pillées, des bâtiments endommagés, et des ouvrages d’art détruits. Le 7 janvier 1910, au PK 90, le train régulier descendant déraille sur une coupure de voie et est aussitôt attaqué par les Abbey. Un agent français de la Compagnie française de l’Afrique occidentale, monsieur Rubino, est tué. Son nom sera ultérieurement donné à la gare du PK 101. Les chantiers sont réorganisés en juillet. Le 11 septembre 1910, le viaduc du N’zi et la gare de Dimbokro sont inaugurés par le gouverneur général Angoulevant. A la fin de l’année, les études sont menées jusqu’à Bouaké (PK 345), dont la gare sera officiellement inaugurée par le gouverneur général William Ponty le 15 mars 1912. La Première Guerre mondiale va bloquer les travaux, et cette gare restera terminus jusqu’en 1923.

Source: wikipedia.org

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