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Le bagnon ou culte de la beauté dans la société Bété

Il existe dans l'Ouest de la Côte-d'Ivoire, plus précisément dans l'ethnie Bété, une institution relative à la beauté: le Bagnon. L'éthymologie peut nous donner un premier aperçu de la réalité.

Le mot en usage dans toutes les tributs de cette ethnie comprend deux éléments: (ba) et (gnon). Ba est un adjectif utilisé pour pour qualifier toute personne ou toute chose présentant une valeur esthétique. Nous le traduirons en français par beau ou belle (1). « Gnon » est un subtantif signifiant homme, dans le sens d’être humain mâle et adulte par opposition à femme « Wono » et enfant « Gyu ». On peut traduire bagon parbel homme. le bagon, c’est donc l’individu de sexe masculin qui par son aspect suscite un plaisir esthétique mêlé d’admiration et qui, pour cette raison, est choisi aux fins de représenter sa communauté à l’extérieur, au cours d’une manifestation artistique.

Mais si les qualités physiques, comme nous le verrons plus loin, constituent les critères par excellence du choix, elles ne sont pas les seules. En effet, on exige du bagnon d’autres valeurs. On veut notamment que la beauté extérieure sous-tende une beauté intérieure dont elle ne serait que le signe et l’expression. Le bel homme se doit aussi d’être une belle âme. Comme dans d’autres civilisations africaines, les Bété ne séparent point le corps de l’esprit, le physique du moral. L’homme est saisi dans son unité synthétique intégrale.

Avant d’aller plus loin, demandons-nous quelle est l’origine de l’institution? Est-elle spécifique aux Bété? N’existe-t-elle pas dans d’autres ethnies? N’a-t-elle pas été empruntée à d’autres populations.

L’état de nos recherches ne nous ne nous permet pas de résoudre tous ces problèmes assez difficiles. Pour l’heure, nous pouvons affirmer, d’après notre informations que l’institution étudiée est propre à l’ethnie Bété; qu’elle remonte à une date très ancienne. Par ailleurs, nous nous ne connaissons pas en Côte-d’Ivoire, chez d’autres peuples, d’institutions similaires. Certes, il existe presque tous une grande sympathie à l’égard de la beauté physique qui possède même un certain canon. Mais, nulle part, la beauté et ses attributs n’ont été institutionnalisés comme c’est le cas chez les Bété.

Conditions et critères du choix

Après l’étymologie et l’origine; il convient d’examiner les conditions et les critères du choix. D’abord, où est choisi le bagnon? On le choisit dans le cadre du village. Chaque communauté villageoise désigne le sien. Cependant, plusieurs villages qui descendent ou croient descendre d’un même ancêtre peuvent se grouper pour ce choix. On n’y tient pas compte du quartier, ou du lignage. Seuls les mérites intrinsèques du candidat sont pris en considération. Il n’y a qu’un bagnon par village ou groupe de village. Certes, on a vu des personnes de telle ou telle localité se vanter d’en posséder deux ou trois. En réalité, il s’agit de candidats possibles, aussi doués que le candidat régulièrement désigné. En effet, le souci de perfection qui inspire l’institution joue dans le sens de la limitation.

La désignation d’effectue en deux phases. La première, qui est préparatoire, dure de quatre à huit ans. Au cours de celle-ci, un courant d’opinion naît et se développe lentement autour du nom d’un jeune homme que, par ses qualités, se sera fait remarquer par ses compatriotes.

Ce jeune homme devra prendre soin de son corps en veillant scrupuleusement à son développement harmonieux et à sa proprété. S’il y a des manifestations artistiques dans le village, il paraîtra aussi souvent que possible et y prendra une part active. Son comportement social devra être irréprochable. Une telle ligne de conduite est de nature à accroître la faveur du candidat et à asseoir sa popularité. Et c’est précisément cette popularité qui va jouer un rôle déterminant dans le processus du consensus tacite qui, entre plusieurs candidats, dégage et impose le bagnon.

Vient ensuite une phase quasi officielle. Cette période annonce d’une manière plus explicite le futur bagnon. Elle se situe généralement à quelques mois d’une grande mainifestations artistique à l’extérieur (funérailles ou mariage). Au cours de cette période, une publicité intense se développe autour du candidat. Cette publicité est le fait de différents artistes (chanteurs, danseurs, batteurs de tam-tam, pleureurs). Durant ces mois, on ne perdra aucune occasion de mettre de mettre en relief les qualités et vertus du héros. Le Tigbla à chaque chaque manifestation va tambouriner ses éloges (2). Tel ou tel compositeur improvisera une chanson sur lui. Tel pleureur évoquera les hauts faits de ses ancêtres. Ainsi les coeurs et les esprits se trouvent préparés à accepter le jeune Apollon. Toutefois, il nous a été signalé que dans une tribu de la région de Gagnoa, les choses se passent par surprise, du moins pour le candidat. C’est, nous a -t-on dit, au cours d’une sortie que des camarades d’âge proclament bagnon un compagnon dont ils connaissent les qualités et l’amènent à accepter son rôle. Ce cas est particulier. La procédure décrite plus haut est celle qui prédomine dans la plupart des tribus et clans Bété.

En ce qui concerne l’âge requis, il n’est point défini avec précision (16-17 ans). La fonction, en principe, est viagère. Cependant, au-delà de cinquante ans, rares sont les bagnons encore en exercice. Si des cas existent, il s’expliquent par le fait que la communauté n’intervient jamais pour déposer un bagnon. Ce serait se désavouer. Lorsqu’il sent sa faveur diminuer ou qu’il sent monter un nouveau favori, il appartient à l’intéressé lui-même de se démettre spontanément. Il peut dès lors se faire le conseiller du nouveau candidat.

Les critères de choix sont de deux sortes: physiques et moraux. Les premiers, nous l’avons déjà noté, sont les plus importants. En effet, on demande au bagnon de posséder un certain nombre de traits physiques qui répondent à un modèle de proportions idéales. Le candidat sera de préférence grand mais pas démesurément, une haute stature ne suffit pas, si elle n’est point harmonieuse. le buste et les membres auront des dimensions normales. Des bras grêles n’ont aucune chance de favoriser leur possesseur. Au contraire, un cou plissé constitue un critère hautement apprécié de beauté (1). Le bagnon devra présenter une poitrine d’athlète se prolongeant par des épaules larges. La taille, si elle est très mince, soulignant le contraste avec le tronc et les hanches, est une qualité treès rare. Le ventre sera pourvu d’abdominaux développés.

On apprécie beaucoup des mollets réguliers et musclés. Le visage sera beau sans être efféminé. La force et la robustesse ne constituent pas en elles-mêmes des critères de choix. On leur préfèrera la prestance qui exclut des gestes brusques et désordonnés.

A côté de ces qualités physiques, on souhaite que le bagnon possède un certain nombre de qualités morales. Ce sont essentiellement: la bravoure, le sens de l’honneur, la générosité. Un sens social aigu devra le pousser à s’intéresser à toute la vie du village. Il aidera les faibles, marquera de la déférence aux vieux, montrera de la solidarité à l’égard des gens de sa classe d’âge (2). Mais parmi les qualités exigées à notre héros, il faut faire une place spéciale aux dons artistiques. Leur rôle est allé, semble-t-il, en croissant. Le bagnon devra se montrer bon danseur. En effet, la danse est dans la plupart des sociétés africaines un moyen essentiel d’expression et de communion. Toutefois, on ne demande pas au bagnon de beaucoup danser. Plus que la résistance ou l’endurance, ce qu’on attend de lui, c’est la grâce et le stylisation (3). Si notre Appolon, en plus de ses talents chorégraphiques, sait chanter, improviser des lamentations, sa popularité dépassera les frontières de sa région.

Après les phases du choix, vient la présentation qu’on pourrait comparer à une sorte d’investiture. Le lieu de cette présentation, nous l’avons déjà noté, se situe presque toujours à l’extérieur, dans un village ami. A l’occasion des funérailles ou d’un mariage, le village invité présente son bagnon. Les invités peuvent ariver deux ou trois jours avant la date de la manifestation. C’est le cas du bagnon et de sa suite à qui un certain temps de préparation est nécessaire.

Cette préparation consiste essentiellement en précoautions matérielles et spirituelles. La nourriture du bagnon sera strictement surveillée. Les aliments consommés seront minutieusement sélectionnés. On évitera les aliments susceptibles de faire prendre de l’embonpoint ou provoquer des troubles digestifs. On adoptera donc pour le bagnon un régime propre à le maintenir en forme et en équilibre. Les personnes affectées à la préparation de ces aliments seront les meilleures cuisinières de la communauté et des personnes de confiance. Pendant la cuisson, on évitera d’introduire dans les lieux tout étranger.

On surveillera la ligne du bagnon au jour le jour. En conséquence, son appétit sera contrôlé et modéré s’il le faut par ses conseillers. Même l’eau, dans certains cas, est mésurée à notre héros pour lui éviter les inconvénients d’une transpiration trop abondante.

Par Docteur Joachim BONNY, Docteur d’Etat en Histoire, Anciennement Directeur de l’Institut d’Histoire et d’Archéologie, Université Nationale de Côte-d’Ivoire.

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