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L’origine et la célébration de l’Abissa

Abissa vient du terme « kobiza » qui signifie « va demander », « va t'informer» en N'zima. Elle est aussi appelée « Kondoum », de « Kon » qui signifie « il est temps de faire l'unité ».

En effet, l’Abissa est l’occasion pour les N’zima de se réunir dans le village pour célébrer la nouvelle année durant laquelle tous « rentrent en famille ». Elle dure deux semaines : la première appelée Siédou est la semaine silencieuse et la seconde, le Gouazo, est celle des effusions et des festivités. La célébration se déroule sur la Place de l’Abissa au rythme de l’Édongbolé, le tamtam sacré des N’zima.

L’Abissa de Grand-Bassam clôture une série d’Abissa qui commence dans la région Nzema au Ghana, dans les villages M’Blogo et Bégnini (Abrima 2001: 29). Elle se poursuit dans d’autres villages ghanéens avant d’être célébrée en Côte d’Ivoire, à Tiapoum d’abord puis à Grand-Bassam.

L’origine de l’Abissa
L’Abissa célèbre le début de la nouvelle année N’zima. Autrefois le début des festivités était déterminé par la chute des premiers fruits de l’arbre Assolo baka25 (Agbroffi 1997: 86). Aujourd’hui la date est fixée par l’Association Abissa : la cérémonie commence toujours le dernier dimanche du mois d’octobre.

L’Abissa appartient à l’une de ses sept familles N’zima, celle des Nvavilé. En effet c’est un jeune Nvavilé qui a « ramené » la danse. Selon la tradition orale, il est parti chasser dans la forêt où il a été attiré par le grondement d’un tam-tam. Il s’est rendu à l’endroit d’où provenaient la musique et les acclamations et a été surpris de découvrir des génies en train de célébrer. Il s’est caché pour les observer mais il a été repéré. Les génies lui ont transmis la danse et l’ont averti : chaque année à la même période, son peuple doit célébrer la même fête au risque qu’un grand malheur ne s’abatte sur la communauté. C’est ainsi que la fête est transmise aux Hommes par les génies et que les N’zima la célèbrent tous les ans.

La première semaine : le Siédou
L’Abissa commence par le Siédou, la semaine silencieuse. La famille Nvavilé est détentrice de l’Abissa et gardienne du tam-tam sacré l’Edongbolé qu’elle prépare avant la célébration. Elle le nettoie, le séche et le décore. Après libations26, il est alors prêt à sortir de la maison du chef de la famille Nvavilé pour rejoindre la Place de l’Abissa où il est accompagné par d’autres tam-tams. Puis il est transporté à travers le village suivi par une grande procession qui réuni toute la population. Quelques personnes sont déguisées. Enfin il retourne dans la maison du chef du matriclan. Dans le passé, il était envoyé dans le Bouakè, le bois sacré des N’zima.

Les habitants du village doivent rester dans le recueillement la semaine qui suit la sortie l’Edongbolé. Le Siédou est l’occasion d’introspections et de réflexion sur les bonnes et mauvaises actions de l’année écoulée. Durant cette semaine, les effusions sont interdites : si une personne décède elle est « enterrée sur le champ. Ses parents pleurent en silence […]. Et les funérailles ne se font qu’après l’Abissa » (Abrima 2001: 20). Au terme de cette semaine d’austérité (Paulme 1970: 190) commence les festivités du Gouazo.

La deuxième semaine : le Gouazo
Après sa « retraite », l’Edongbôlé est sorti de « sa » maison et emmené à la cour royale où une foule l’accueille (cf. Photographie 18). Il est présenté au roi qui effectue des libations avant de le remettre au peuple, on dit alors que l’Abissa appartient au peuple. L’autorité traditionnelle revient à la population le temps du Gouazo : personne n’est au-dessus de personne, pas même le roi. C’est une période de liberté d’expression totale durant laquelle la crainte d’éventuelles représailles émanant du roi ou de ses notables face à ce que l’on pourrait dire, faire ou dénoncer s’efface. Il est aussi interdit de se mettre en colère sinon « l’année prochaine ne va pas te trouver »

Lorsque l’Edongbolé est remis au peuple, il est emmené sur la Place de l’Abissa où il est joué chaque jour de la semaine du Gouazo de 16h30 à la tombée de la nuit. Les différentes communautés de N’zima de Côte d’Ivoire se succèdent pour danser au rythme du tam-tam (cf. Photographie 19). Chaque jour met en avant un ou plusieurs matriclans et/ou une composante de la société N’zima. En 2014 par exemple, le mercredi était consacré aux femmes et le vendredi aux chefs de village ainsi qu’aux familles Allohomba et Adahonlin. Le mardi et le samedi qualifiés d’« apothéose » sont les « jours de la sortie du roi ». Le mardi marque le début de la « critique sociale » effectuée par les chansonniers qui bénéficient pour l’occasion de « l’immunité critique » et sont placés « sous la protection du roi »27 Différents groupes de chansonniers se succèdent devant toute la notabilité réunie et les cadres de la communauté N’zima pour rapporter les critiques que la population leur a chargé de transmettre (cf. Photographie 20). Ces reproches sont exprimés en N’zima sous forme de paraboles et de proverbes

Pendant l’Abissa, les N’zima et quelques visiteurs se déguisent, ce qui vaut à la fête d’être comparée à un carnaval mais cela déplait aux N’zima28. Ces derniers insistent sur le fait qu’il s’agit d’une « fête de réjouissances et de critique sociale »29. Les déguisements permettent à la population de laisser libre-cours à son imagination voire de véhiculer des messages. Des hommes se déguisent en femmes et vice-versa pour rire du sexe opposé ou l’imiter (cf. Photographie 21). On peut croiser le « Ministre des affaire bizarres » qui marche dans les rues d’un pas pressé avec une valise indiquant sa fonction.

Source: Le processus d’appropriation symbolique d’une ancienne capitale colonialepatrimonialisée cas de la« ville historique de Grand-Bassam » en Côte d’Ivoire
Nom : Affoh GUENNEGUEZ
Directrice de recherche : Daniela Merolla
Co-directrice de recherche : Mayke Kaag
Date : Juillet 2015

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