Le Bhobla, un modèle de règlement pacifique des conflits en Côte d’Ivoire et en Afrique
Le Bhobla est une pratique culturelle ancestrale des peuples dida, godié, ného et associés, du Sud-ouest ivoirien, et présenté comme une procédure judiciaire traditionnelle, aux vertus thérapeutiques éprouvées pour résoudre de façon pacifiques les conflits, mêmes les plus graves, en pays dida.
L’honneur est revenu au Directeur du département d’Histoire de l’université Alassane Ouattara de Bouaké, Sékré Gbodjé Alphonse, d’exposer, samedi 12 décembre 2020, au Djaka festival de Divo, sur ce pan de la coutume dida, présenté comme un modèle pouvant aider au règlement pacifique des conflits dans toute l’Afrique.
Le bhobla s’appréhende et se comprend par une approche étymologique et sociohistorique, afin de découvrir son origine, sa fonction sociale, et l’apport qu’il peut représenter pour les sociétés contemporaines africaines, dans le règlement des conflits sociopolitiques incessants qui les divisent voire les détruisent.
Etymologie et origine du Bhobla
Le Bhobla est une petite plante aux belles et larges feuilles frêles et délicates. L’on la trouve en brousse, et précisément dans la nature, où elle pousse spontanément sur des terres non rocailleuses, mais plutôt humides et fertiles.
L’origine de l’adoption du bhobla par le peuple dida demeure un mystère et relève de la légende. Selon la tradition, « cette plante aurait été révélée aux didas par des génies bienfaiteurs et régulateurs du cosmos dida, afin de conjurer le mauvais sort ou d’éloigner tout esprit satanique ». Selon le professeur Sékré G. Alphonse, il s’agit d’une plante d’alliance et de pacte de paix, institués entre les humains et les génies.
Le nom en dida, bhobla, se compose de deux termes, à savoir « Bho » ou « Gbo », qui signifie le conflit, le palabre, et le second terme « Bla » qui se traduit par tuer. Ainsi bhobla ou gbobla signifie « le conflit tue, le palabre tue ». Et à l’inverse, explique l’universitaire, « de bhobla se dégage un autre mot, blagbo, qui signifie littéralement tuer le palabre, mettre fin au conflit ». Les mots bho ou gbo réfèrent aussi bien au conflit mineur qu’à une grave crise meurtrière. Les conflits mineurs tels que refuser de partager le repas, refuser de saluer son parent ou son voisin, peuvent se régler par simple arbitrage du patriarche de la famille.
Les crises majeures, par contre, peuvent concerner des cas d’adultère, des conflits fonciers, des problèmes de succession, des cas de sorcellerie, avec parfois des risques de guerres entre communautés voisines. Ce sont ces graves conflits qui nécessitent le recours au Bhobla, afin d’apaiser les esprits et ramener la paix. Le bhobla incarne ici l’arbre à palabre, le tribunal traditionnel, qui avait compétence pour régler les graves crises entre les membres d’un même village ou entre deux ou plusieurs communautés villageoises ou tribus.
Le processus du pardon à travers le bhobla
Ce tribunal traditionnel est une assemblée coutumière dénommée, « Tchégrètitè » en dida. Il recourait au bhobla pour régler ces conflits importants dont ils étaient saisis. Ses juges étaient généralement des personnes d’âges mûres, notamment des patriarches (glaigblaiwan), des chefs de terre (dodotowan), les chefs de familles (gligbotowan) et des chefs de village (toutoh). Garants des us et coutumes, ils étaient les intermédiaires entre le monde des vivants et celui des ancêtres. Ils détenaient, selon professeur Sékré, les lois qui régissaient la société et avaient un sens conciliant très élevé. Ils associaient politique, justice, et diplomatie pour régler les problèmes cruciaux.
Considérés comme investis de la sagesse ancestrale et interprètes des dieux, ces juges de l’arbre à palabre dida instauraient un long processus de dialogue, à la recherche de l’équilibre social et d’un consensus permanent. Cette justice, note-t-on, reposait sur l’éthique et l’impartialité, et ouvrait ainsi le processus de réparation du tort causé. Les parties belligérantes s’expliquaient tour à tour devant l’assemblée des anciens pour vider le contentieux.
La partie mise en cause, faisait l’effort de taire son égo au cours de ces assises pour faire son mea-culpa et reconnaître publiquement sa faute. C’était toute une démarche thérapeutique qui non seulement apaisait et soulageait les victimes, mais donnait une chance au fautif de faire amende honorable et de se réinsérer plus facilement dans sa société.
Selon l’historien, « C’est à la fin de ce processus de demande de pardon qu’intervenait véritablement le Bhobla pour conclure durablement la paix ». Pour le rituel final, l’on associait la plante de bhobla au kaolin blanc et aux feuilles de deux autres plantes d’alliance, le ‘’zèzougbatè » et le « yawossiè ».
A cet ensemble de feuilles, il était ajouté un œuf au milieu du Kaolin, pour calmer les esprits et demander pardon car, à travers cette pratique, c’est l’ancestralité, la divinité qui était invoquée, c’est le sacré qui engageait les parties à renouveler le pacte social et à continuer le vivre ensemble. Pour ce renouvellement du pacte social, les torts causés à la victime étaient réparés par le mis en cause, qui s’acquittait des amendes et se soumettait aux sacrifices expiatoires imposés par les lois ancestrales.
De son côté, la victime acceptait le pardon, et à la fin du processus, les anciens invoquaient l’esprit des ancêtres et les dieux pour exorciser durablement le mal. La cohésion et l’harmonie sociales étaient ainsi sauvegardées, avec le corps social ressoudé.
Le bhobla comme une thérapie susceptible d’éradiquer la violence sociopolitique en Afrique contemporaine
Le professeur Sékré Gbodjé Alphonse tire de ce processus judiciaire traditionnel du bhobla, des leçons et des outils pour aider les pays africains à surmonter les conflits communautaires et les fractures sociales, consécutifs pour l’essentiel, selon lui, à des processus démocratiques biaisés, faits de coups d’Etat, d’élections mal organisées par les tenants du pouvoir, et engendrant aujourd’hui, selon lui, « la catastrophe politique, économique, et humanitaire sur le continent ».
Pour le professeur Sékré Alphonse, le bhobla peut beaucoup aider les pays africains aujourd’hui en proies à des crises profondes. Ainsi, note-t-il, les outils que propose le bhobla sont encore d’une utilité actuelle, à savoir le dialogue ouvert, le respect de la vie et du sacré, l’humilité pour demander pardon, la réparation juste des torts causés, des victimes rassurées et capables d’accepter le pardon et de revivre avec le mis en cause.
La réappropriation du Bhobla et des alliances à plaisanteries, note-t-on, sont des processus de règlement pacifique des conflits, mêmes les plus graves, à encourager et à susciter, afin d’obtenir de véritables processus de réconciliation nationale en Afrique.
Le problème est que, dans de nombreuses régions d’Afrique et en Côte d’Ivoire, ces processus de réconciliation par les outils de la tradition ont du mal à être sollicités comme voies de recours. Les processus de réconciliation nationale engagés en Côte d’Ivoire, après la crise post-électorale de 2010, n’ont pas eu recours à ces outils traditionnels. En plus, ces pratiques anciennes sont progressivement jetées aux calendres grecques, sous prétexte de modernité, ou de prosélytisme religieux.
Ainsi, dans le Lôh-Djiboua, la pratique du Bhobla, bien qu’encore présente dans les esprits, est de moins en moins suivie, selon le chef du village de Brabodougou, Dago Guy, dans la commune de Divo. De nos jours, l’on évoque le bhobla pour interpeler des belligérants, afin qu’ils évitent de franchir à temps certains seuils de violences verbales ou physiques, pour ne pas tomber sous le coup d’amendes expiatoires. Mais, le processus, tel qu’expliqué plus tôt, se raréfie. Selon le chef Dago Guy, la rareté de la plante bhobla, due à l’exploitation abusive des forêts, y est aussi pour quelque chose.
Jean-Marie KOFFI, Chef du Bureau régional AIP Divo
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