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Le peuple Ôdjukru

Le peuple Adioukrou fait partie de ce complexe des peuples lagunaires, ainsi dénommés par les anthro- pologues, faute de renseignements plus complets.

Ce groupe réunit un certain nombre de populations, Abigi, Ebrié, Alladian, Azi, Edéi, Abéi, Attié, Avikan, qui, ayant des caractéristiques semblables, n’en présentent pas moins des différences notoires. L’existence de traits anthropologiques communs entre ces différents peuples peut résulter du brassage des populations au cours de leurs migrations qui ont précédé leur fixation en Basse-Côte et aussi de la fréquence élevée des mariages entre groupes voisine. Bien que Westermann fasse état d’une ressemblance avec les groupes paléonigritiques de l’ouest du Bandama, Bété et Gagou, il semble plutôt qu’une certaine finesse des traits les rapprochent des populations du groupe Akan, habitant l’est de la Côte d’Ivoire. L’absence totale de données anthropométriques ne permet pas de vérifier ces impressions.

Culturellement, il semble qu’on soit en présence d’une société où coexistent-des institutions matrilinéaires, très voisines de celles des Ashanti, et une organisation aussi originale en Côte d’Ivoire que celle des classes d’âge. L’hypothèse la plus probable serait une superposition de traits culturels résultant des contacts avec les populations rencontrées au cours des migrations.

Les récits qui rapportent l’installation des Adioukrou dans la région qu’ils occupent actuellement sont légendaires.

Les traditions ne remontent pas avant leur passage dans le pays Dida, dans la région de Divo, située à 120 kilomètres au nord-ouest de Dabou. A la suite de querelles avec leurs voisins Dida, les sept villages fondés par les Adioukrou ont commencé une migration qui les a amenés au bord de la lagune Ebrié, à Cosrou, puis sur le lieu de leur première installation, appelé Tef, à proximité du Bouboury actuel. Cette migration aurait eu lieu vers le milieu ou la fin du XVIIIe siècle. Leur pénétration ne se fit pas sans combats avec leurs voisins Ebrié et Alladian. Essentiellement chasseurs à cette époque, les Adioukrou vivaient dans des campements qui sont à l’origine des villages actuels. Une querelle entre deux frères serait à l’origine de la séparation des Adioukrou en deux groupes dont les villages de Bouboury et de Débrimou jouent le rôle de capitales.

Les Adioukrou se sont rapidement rendu compte de l’intérêt de l’huile de palme, qui était une denrée d’échange dans le commerce qui se développait rapidement sur la côte d’Afrique, Les Alladian habitant sur le cordon lagunaire vendaient de l’huile de palme aux navires portugais faisant escale à Jacqueville ou Grand-Jack et leur achetaient du tabac, du rhum et de la pacotille (étoffes, vaisselles, etc.) qu’ils revendaient aux Adioukrou, contre l’huile et d’autres marchandises venant de l’intérieur du pays. Ce commerce est à la base de l’essor du pays Adioukrou.

Des quantités de plus en plus importantes de régimes furent cueillis et traités et le matériel dont disposaient les Adioukrou à l’origine devint insuffisant. Au pilon à piment trop petit fut substitué le pilon et le mortier à mil. La production d’huile augmenta d’autant plus que c’était, pour les Adioukrou, la seule marchandise dont ils disposaient pour acquérir par troc le poisson et les produits importés.

De par sa situation géographique privilégiée, Dabou devint un gros centre commercial. Débouchant à la mer par Jacqueville dont il est séparé par la lagune Ebrié, large de 6 kilomètres et le cordon lagunaire, Dabou recevait les caravanes de marchands venues du Nord et était un point de ralliement pour celles se dirigeant vers l’intérieur, avant de devenir une base de départ pour les colonnes européennes d’expédition.

Comme les Portugais et eux aussi attirés par les produits exotiques, vers le milieu du XIXe siècle, les navires anglais se mirent à faire escale en face des petites cités Alladian. Peu favorables au troc, ils lancèrent une sorte de monnaie, cercles de bronze non fermés, la « manille n, dont on trouve encore de nombreux exemplaires dans les cases Adioukrou. Pour faire face à l’augmentation de la demande d’huile, les Adioukrou cherchèrent à améliorer le rendement. Le mortier à mil fut abandonné à son tour et ils installèrent pour la cuisson des graines et leur pilonnage de grandes marmites en terre. Des ports secondaires se créèrent au bord de la lagune, tant du côté Adioukrou que du côté Alladian; l’huile de palme apportée dans des calebasses était transportée en pirogue sur la lagune, enfin par tonnelets roulés sur le sol pendant plus de 4 kilomètres à travers le cordon lagunaire jusqu’à Jacqueville; ce transport était long et pénible et les tonnelets se défon- çaient souvent pendant le parcours.

Les régions Adioukrou et Alladian connurent une réelle prospérité grâce à ce commerce toujours croissant. A Jacqueville et à Débrimou, on peut encore voir des maisons à l’européenne meublées au goût de l’époque qui furent construites par de riches marchands. Reconnu comme centre de commerce important, Jacqueville fut doté d’une poste et d’un bureau de douane. Des comptoirs s’ouvrirent dans toute la région. Une voie Decauville fut construite entre Jacqueville et le débarcadère pour le transport de l’huile et des produits. A la fin du XIX e siècle les courants commerciaux changèrent. Les besoins mondiaux en huile ne cessant de croître, les grandes firmes commerciales s’installèrent à Bassam et organisèrent de façon moderne le transport sur la lagune. Jacqueville déclina au profit des ports lagunaires: Cosrou, Toupah, Mopoyem, Bouboury et surtout de Dabou. De petits voiliers et bientôt des bateaux à moteurs assuraient le transport jusqu’à Bassam et amenaient différents produits. L’achat des amandes débuta vers 1900. Les noix étaient apportées depuis les villages par les femmes Adioukrou. Cela leur était d’autant plus pénible qu’elles ne retiraient du transport des noix que le prix des amandes, les noix étant concassées à Dabou par les commer- çants. Mais elles se mirent bientôt à n’apporter pour la vente que la seule marchandise vendable, à savoir les amandes, le concassage se faisant manuellement au village.

Jusqu’en 1950, le mode d’exploitation de la palmeraie et la commercialisation n’évoluèrent que relativement peu. Cependant, grâce au développement du réseau routier, les succursales des principales maisons de commerce et les commerçants de Dabou qui assuraient la traite furent bientôt en mesure de procéder, avec leurs camions, au ramassage des produits, ce qui entraîna le déclin des ports lagunaires tels que Toupah et Cosrou. Dabou devint ainsi le centre du commerce de l’huile et de palmistes.

Ainsi, ce n’est que petit à petit, à partir du XIXe siècle, c’est-à-dire depuis un peu plus d’une centaine d’années que se sont formées chez les Adioukrou toutes les traditions et règles coutumières concernant la palmeraie, les techniques de grimpage et de traitement, le régime foncier et l’organisation de l’exploitation. Ce bref exposé historique souligne donc la faculté d’adaptation de la société traditionnelle Adioukrou à des

conditions économiques nouvelles et amène à penser que cet ensemble de techniques et de coutumes, loin d’être figé dans le temps, évolue sous nos yeux, avec les hésitations et les tâtonnements inévitables. Cependant cette évolution a été modifiée depuis 1950 par un fait entièrement nouveau, à savoir l’installation à Dabou d’une huilerie moderne destinée à traiter industriellement les régimes de palme récoltés par les Adioukrou, Cette usine créée dans le cadre du premier plan quadriennal et capable de traiter 40.000 tonnes de régimes, c’est-à-dire la production présumée de l’ensemble de la palmeraie Adioukrou, devait être l’amorce d’un plan de mise en valeur de la région comportant la rénovation de la palmeraie naturelle, l’installation d’une savonnerie et éventuellement l’agrandissement de l’huilerie.

Le traitement des régimes par l’huilerie représente pour les Adioukrou une véritable révolution technique. Traditionnellement les régimes récoltés par les grimpeurs étaient portés dans des campements où ils étaient transformés en huile suivant un procédé artisanal nécessitant une importante main-d’œuvre. Actuellement ces régimes doivent être entassés à certains points des pistes de la palmeraie où les camions de l’huilerie viennent les collecter quotidiennement. Ce nouveau mode d’exploitation de la palmeraie entraîne des modifications dans la commercialisation du produit, dans l’organisation du travail des hommes et del’! femmes et dans la répartition des revenus de la palmeraie.

La collecte des régimes ayant été plus faible et plus irrégulière qu’il n’avait été prévu, l’huilerie a travaillé très en dessous de sa capacité de production et ses premières années ont été financièrement très difficiles. Diverses raisons ont été invoquées pour expliquer le déficit d’approvisionnement de l’huilerie parmi lesquelles les plus couramment citées sont : la désaffection du grimpeur Adioukrou pour la palmeraie, le vieillissement de la palmeraie. la concurrence des cultures riches – café et cacao. La deuxième partie de cette étude sera spécialement centrée sur ces problèmes.

Les différentes causes de l’insuffisance de la collecte seront étudiées et peut-être cette analyse permettra-t-elle de faire certaines suggestions sur la mise en valeur de la région.

Quelques données démographiques situeront la position actuelle de la société Adioukrou.

D’après les recensements administratifs, dont les plus anciens datent de 1947, la population Adioukrou compte environ 24.000 habitants. Sa densité est relativement élevée. Elle peut être évaluée à 20 habitants au kilomètre carré. La population est répartie en 35 villages :

Depuis 1998 la croissance démographique s’est faite remarquable.

Secteur communal
Depuis 1998, on comptait 65 119 habitants répartis dans huit villages organisés en communes :
– Agneby, 708 habitants
– Allaba, 846
– Armebe, 1 259
– Dabou, 54 892
– Debrimou, 4 250
– Gbougo I, 1 395
– N’Gatty, 741
– Pass, 2 287

Secteur non communal
En 1998, on comptait 55 185 habitants répartis dans plu- sieurs villages non organisés en communes :
– Adangba-Eby, 380 habitants
– Agbaille, 1 136
– Agnimangbo, 1 060
– Ahouya, 646
– Akakro, 674
– Akradio, 3 512
– Bodou, 397
– Bohn, 771
– Bouboury, 1 497
– Cosrou, 2 385
– Ira, 1 561
– Kaka, 579
– Kodogodji, 262
– Kroufian, 874
– Lopou, 6 130
– Mopoyem, 930
– N’Doumikro, 565
– Niamiambo, 448
– Niguinanou, 747
– Nouvel Osrou, 3 297
– Opoyounem, 1 663
– Orbaff, 3 587
– Orgaff, 1 411
– Pandah, 1 092
– Petit Badien, 941
– Tiaha, 1 250
– Toupah, 6 665
– Vieil Osrou, 673
– Vieux Badien, 2 823
– Yassap A, 2 834
– Yassap B, 600
– Yomidji, 1 077
– Youhoulil, 2 718 habitants

Depuis octobre 2005, les villages de Akradio, Cosrou, lopou, Nouvel Osrou, Orbaff et Toupah ont été érigés en communes par le Président de la République, Laurent Gbagbo.

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