La Forêt Classée du Mont Korhogo : Sanctuaire écologique et spirituel des Sénoufo

Située au nord de la Côte d’Ivoire, en bordure de la ville de Korhogo, la Forêt Classée du Mont Korhogo (FCMK) est bien plus qu’un espace boisé. Elle incarne un héritage naturel, culturel et spirituel essentiel à l’identité des populations sénoufo de la région. Créée en 1953, cette forêt initialement étendue sur 1 409 hectares a vu sa superficie réduite à 1 155 hectares, notamment à cause de la pression foncière et de l’urbanisation.

Un écosystème riche en biodiversité

Malgré sa taille relativement modeste, la FCMK regorge d’une biodiversité remarquable. Des inventaires floristiques y ont recensé 316 espèces végétales, réparties en 211 genres et 62 familles, avec 30 espèces présentant un statut de conservation préoccupant.

Du côté de la faune, une étude préliminaire conduite entre septembre 2023 et décembre 2024 a identifié une diversité d’oiseaux, notamment le rare Blongios de Sturm (Ixobrychus sturmii), une espèce rarement observée dans la région.

Un patrimoine spirituel vivant

Pour les Sénoufo, la Forêt Classée du Mont Korhogo est un lieu sacré, étroitement lié aux traditions spirituelles et initiatiques. Elle abrite des espaces réservés à la société du Poro, une organisation initiatique qui structure la vie morale, religieuse et sociale des Sénoufo.

Rituel de « Tchologo Kafolo » : la voix du mont

L’un des rituels les plus emblématiques est le Tchologo Kafolo — « la parole du sommet ». Ce rituel, pratiqué à mi-hauteur du mont sous un fromager sacré, vise à invoquer les esprits protecteurs du mont pour bénir la communauté.

Déroulement :

• Les anciens jeûnent et se purifient avant de gravir la montagne.
• Des libations de vin de palme et de farine sont offertes aux esprits de la nature.
• Le chef rituel adresse une prière pour la pluie, la paix et la fertilité.
• Un poulet noir est sacrifié pour renforcer le lien entre le visible et l’invisible.

Ce rituel renforce la cohésion sociale, rappelle les interdits environnementaux (ne pas abattre les arbres sacrés, ne pas profaner la montagne), et valorise le rôle de la forêt comme pont entre les vivants et les ancêtres.

Le tourisme culturel et écologique : une opportunité en devenir

La Forêt Classée du Mont Korhogo attire de plus en plus l’attention des visiteurs désireux de découvrir les trésors cachés du patrimoine sénoufo. Bien que peu exploitée de manière formelle, la forêt offre un fort potentiel pour un tourisme écologique, culturel et spirituel durable.

Atouts touristiques :

• Randonnées guidées sur le mont Korhogo, avec vue panoramique sur la ville et découverte des arbres sacrés.
  
• Visites culturelles autour des traditions du Poro, avec explications sur les rituels et les symboles religieux (accompagnées de guides locaux autorisés).
  
• Observation de la faune et de la flore pour les passionnés de biodiversité.
  
• Rencontres communautaires avec des artisans et anciens, permettant aux visiteurs de s’immerger dans les récits oraux et les savoir-faire traditionnels.

Défis à relever :

• Aménager des sentiers balisés et des infrastructures écotouristiques sans nuire à l’intégrité spirituelle du site.
• Former les jeunes locaux en tant qu’écoguides pour concilier préservation et développement économique.
• Sensibiliser les visiteurs aux règles de conduite dans un espace sacré.

Le tourisme, s’il est bien encadré, pourrait ainsi devenir un levier de conservation participative tout en valorisant le rôle des savoirs autochtones dans la protection de l’environnement.

Défis et efforts de conservation

La Forêt Classée du Mont Korhogo est confrontée à de sérieuses menaces : agriculture illégale, exploitation forestière, lotissements clandestins et feux de brousse ont entraîné une perte significative de sa couverture végétale entre 1998 et 2018.

Face à cela, des initiatives ont vu le jour :

• Projets de réhabilitation participative avec les communautés locales (OIBT, 2013).
• Campagnes de sensibilisation sur la valeur spirituelle et écologique de la forêt.
• Collaboration avec des chercheurs, ONG et autorités locales pour intégrer les savoirs traditionnels à la gestion durable.

La Forêt Classée du Mont Korhogo n’est pas seulement un refuge de biodiversité, c’est un sanctuaire de mémoire, de foi et de culture vivante. Sa préservation ne peut être réduite à une simple question de conservation écologique. Il s’agit aussi de sauvegarder les rituels, croyances et récits qui animent la forêt depuis des générations.

Protéger le Mont Korhogo, c’est préserver un cœur battant de l’identité sénoufo et un pont sacré entre la nature, les ancêtres et les vivants.

Références :

• ACB-CI (2024). Inventaire préliminaire de l’avifaune de la Forêt Classée du Mont Korhogo.
• Kouamé, D. (2020). Fonctions sociales et culturelles des forêts sacrées en pays Sénoufo.
• Zahan, D. (1979). Systèmes religieux africains. Gallimard.
• ResearchGate (2020). État des lieux de la Forêt Classée du Mont Korhogo.
• Témoignages oraux recueillis à Lataha et Napié, région du Poro (2023).