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Au cœur du Djandja: le parc archéologique d’Ahouakro, trésor millénaire de la Côte d’Ivoire

À 200 kilomètres d’Abidjan, dans le département de Taabo (région de l’Agnéby-Tiassa), un joyau méconnu repose au cœur d’une savane boisée : le parc archéologique d’Ahouakro, surnommé “Djandja” – “caillou” en langue Baoulé. Bien plus qu’un simple amas de roches, ce site de 120 hectares abrite des mégalithes, dolmens et cromlechs datant de 2300 à 2150 millions d’années avant notre ère. Classé sur la liste indicative du patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 2006, le Djandja est un voyage dans le temps, une communion entre nature, spiritualité et mystère. Lors d’une visite inoubliable, j’ai découvert ce lieu sacré, où chaque pierre murmure une histoire millénaire.

Une entrée majestueuse, porte vers l’inconnu

Dès l’arrivée, le Djandja impose sa grandeur. Des fromagers aux racines entrelacées dans la roche accueillent les visiteurs, annonçant un monde où le minéral et le végétal dansent en harmonie. Maxime Yao, un visiteur de Daoukro, s’émerveille: « cette entrée est une promesse de merveilles. Ce site est une mine d’or pour Ahouakro, un trésor à valoriser! ».

La voix chaleureuse de Raymond Ekoum Kauphy, guide autodidacte depuis trente ans, accompagne les arrivants et donne vie au site. Originaire d’Ahouakro, cet homme passionné, malgré son handicap visuel, conduit les visiteurs avec une érudition naturelle. « Ici, tout est intact, façonné par la nature et les ancêtres. Nous n’ajoutons rien », déclare-t-il avec fierté.

Sous les frondaisons, Raymond Kauphy dévoile les premières curiosités: des roches jaunies par le lichen, signe d’un environnement préservé. « Ce lichen ne pousse que dans un air pur », explique-t-il. Puis, les formes émergent: un visage dans la pierre, une silhouette d’éléphant. « Laissez parler votre imagination. Le Djandja est une école de vie, un lieu pour apprendre et se ressourcer. »

Dolmens, cromlechs et énergie mystique

Le parcours mène à un dolmen, vestige mégalithique de rituels préhistoriques. Au cœur de cette structure, un fromager pousse sans briser la pierre, symbole d’harmonie. « Cet arbre nous enseigne l’amour véritable : on ne se marie pas pour être heureux, mais pour le devenir ensemble », sourit Kauphy, mêlant poésie et sagesse.

Le guide évoque une énergie mystique mesurée en unités Bovis, inspirée des travaux d’André Bovis. « Ici, nous atteignons 100 000 Bovis, parfois 600 000. Posez votre pouce sur la roche, ressentez cette force. » Les visiteurs, intrigués, touchent les pierres. Certains décrivent des picotements, d’autres méditent en silence. Raymond n’impose rien, il invite à ressentir.

Plus loin, un cromlech, un cercle de roches évoquant Stonehenge, fascine par ses lignes droites et ses dalles massives. « Tombeau ? Carrière antique ? Ces marques orientées n Kauphyord-sud gardent leurs secrets », s’interroge Raymond. Les roches, métamorphiques et endogènes, proviennent des profondeurs terrestres, sculptées par des pressions extrêmes et, parfois, par des mains humaines préhistoriques. Des inscriptions gravées et des outils polis témoignent d’une présence ancienne. Les “marmites des lumières” et “marmites des géants”, cuvettes naturelles dans la pierre, évoquent selon la légende des lieux de sagesse ancestrale.

Curiosités géologiques, miracles de la nature

Le Djandja regorge de formations défiant l’imagination. Un rocher suspendu de 3 000 tonnes, surnommé “le cachalot”, impressionne par son équilibre précaire. Des traits parallèles gravés dans la pierre, orientés nord-sud, suggèrent d’anciennes carrières ou sépultures sacrées. Une pyramide inversée, baptisée “la canne de Moïse”, semble flotter par un prodige géologique. Enfin, le “rocher de l’alpiniste” ou “siège de l’intelligence” évoque une baleine, symbole d’équilibre et de solidité.

La nature, miroir de la sagesse

La flore du Djandja enrichit la visite. Raymond Kauphy présente la “liane du chasseur”, source d’eau médicinale, et la “griffe de sorcière”, plante succulente aux vertus curatives. « Ses racines portent la mémoire du sol », dit-il, fasciné. Malgré son niveau CM2, l’homme apprend sans cesse, guidant même des doctorants avec aisance. « Vous êtes ma septième délégation savante », plaisante-t-il.

Une mémoire vivante, un héritage spirituel

Kouamé N’Guessan, chef de terre, raconte l’origine d’Ahouakro. « Nanan Ahoua, venu du Ghana, fonda le village près d’une source d’eau. En explorant, nos ancêtres découvrirent le Djandja ». Ce “caillou” sacré, avec ses roches atteignant 15 mètres, est un lieu de recueillement. « Avant chaque visite, nous honorons les ancêtres par une libation. Le Djandja renferme des secrets, comme des roches favorisant la fécondité », confie-t-il.

Des anecdotes troublantes renforcent le mystère. K. Narcisse, traducteur, évoque un orage soudain qui repoussa une visite non autorisée. « Ce site a une force qu’on ne comprend pas », affirme-t-il. Aujourd’hui, le Djandja attire des visiteurs du monde entier, mais les retombées économiques restent modestes, gérées par une caisse villageoise.

À l’origine, une source d’eau et un nom…Aujourd’hui, un site archéologique à valoriser

Amani Kassi, chef du village depuis 2008, voit dans le Djandja un levier de développement. Inspiré par ses voyages en Grèce, le chef y voit un levier de développement durable.

« Avec une bonne organisation, ce site peut générer des milliards de Francs CFA », affirme-t-il. Yao Kan Guillaume, président de la mutuelle, partage cette ambition. « Ce joyau granitique, avec ses formes extraordinaires et ses inscriptions évoquant des hiéroglyphes, pourrait rivaliser avec les grands sites africains. » Le “Djandja noir” protecteur et le “Djandja blanc” lié à la fertilité incarnent cet héritage.

En avril 2025, le site a accueilli 5 000 visiteurs. Pour renforcer son attractivité, la mutuelle a confié sa gestion à Côte d’Ivoire Tourisme, avec des projets de clôture, d’espace de restauration et de boutique. Mais les bénéfices restent minces. A chaque visite, 1 000 F CFA par visiteur pour le village, 10 000 F CFA pour le guide, et une bouteille de liqueur pour le chef de terre. « Il faut structurer ce trésor pour créer des emplois et dynamiser l’économie locale », insiste Yao.

L’appel poignant de Raymond

Raymond Kauphy, malgré trente ans de dévouement, regrette l’absence de reconnaissance officielle. « Je n’ai ni statut, ni badge. Ce site appartient à l’humanité, pas à moi! Je demande juste un regard. » Devant un tamarin épineux, “l’arbre du désespoir”, il conclut: « chaque épine est une leçon. Ne reproduisez pas les erreurs du passé ».

Un patrimoine pour l’humanité

Dans les collines de Taabo, les géants de pierre du Djandja veillent, gardiens d’une mémoire africaine. Inscrit sur la liste indicative de l’UNESCO, ce sanctuaire aspire à une reconnaissance mondiale. Comme le souhaite Raymond Ekoum Kauphy, « que les autorités n’oublient pas ce lieu unique, porteur de l’âme de l’Afrique ».

Source: AIP – Reportage réalisé par Ehouman Adrienne

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