Bouna, origines de la Royauté
Vers le 11ème siècle, la région de Bouna était essentiellement peuplée de Lorhon, les ancêtres des Koulango. A cette époque pré-dynastique, il existait déjà une chefferie qui était détenue par le Roi Haïngèrè, lequel assumait également les fonctions de chef de terre (Gôrô-issiè). Le siège de cette chefferie se trouvait à Kodo, village situé à 60 km environ de Bouna entre Varalé et Doropo.
Haïngèrè avait une sœur dénommée Mantou. Celle-ci eut une liaison avec Garzyao, un prince Dagomba originaire de Doloma (actuel Ghana), et qui était avec ses troupes les hôtes du Roi Haïngèrè. De cette liaison naîtra vers 1583 Bounkani le héros fondateur du Royaume de Bouna.
L’appellation Bounkani résulte d’après la tradition orale d’un quiproquo. Alors qu’après son séjour, Garzyao venait de traverser la Volta-Noire pour rejoindre les siens, il fut interpellé de l’autre rive par un émissaire du Roi qui venait lui annoncer la naissance de son fils et lui demander le nom à donner à l’enfant. Ne comprenant pas ce que le messager lui criait à travers le flot bruyant du fleuve, Grazyao répondit: « Bun bo nkane »; ce qui veut dire en langue Dagomba « Avez-vous besoin encore de quelque chose » ? Se méprenant sur le sens de ces paroles, le messager rapporta au Roi Haïngèrè que le nouveau-né devait s’appeler Bounkani.
Bounkani devint rapidement un intrépide et redoutable guerrier. Grand conquérant, il organisa une troupe de jeunes Lorhon en une armée disciplinée acquise à sa cause et s’installa à Lankara, village aujourd’hui appelé Dagbeko, situé au sud-est du royaume, à une vingtaine de kilomètres de Bouna.
A la fois audacieux et rusé, Bounkani parviendra à déposséder sans difficulté son oncle Haïngèrè du trône et à prendre le pouvoir avec la complicité de ses compagnons d’armes.
La tradition orale raconte à ce sujet que le Roi Haïngèrè avait beaucoup d’estime pour son neveu Bounkani qui lui rapportait à chacune de ses conquêtes une partie du butin. Ainsi, lorsque Bounkani lui rendait visite, il lui proposait parfois de s’asseoir sur la chaise royale ( kondja ), symbole du pouvoir.
Après avoir maintes fois décliné cette offre, Bounkani décida avec la complicité de ses compagnons d’armes de s’emparer pacifiquement du pouvoir. Aussi, lorsque son oncle lui fit la même proposition, il s’empressa de s’asseoir sur le trône. Aussitôt, ses compagnons tapèrent dans leurs mains pour le saluer. Cette forme de salutation locale qui n’est réservée qu’au Roi, constituait en fait une ruse destinée à usurper le pouvoir.
Devant ce coup de force de son neveu qui disposait alors d’une armée impressionnante, et qui avait déjà, de ses propres mains, tué l’un de ses oncles maternels, Haïngèrè n’eut d’autre résolution que de se soumettre. Mais, très meurtri et humilié par la trahison de son neveu, il préféra s’exiler en compagnie de sa femme Siti. Sur le chemin de l’exil, précisément à Hîmbié, village situé entre Niadegué et la Volta-Noire, il disparut sous terre après avoir entonné la chanson de la mort. Cette chanson qui est une invocation adressée à Dieu (Hiegossiè), le doigt tendu vers le ciel, permettait à ceux qui l’entonnaient de s’enfoncer sous terre. Seul restait visible ce doigt, qui était alors recouvert d’une calebasse.
Cet épisode tragique marque la fin du règne du Roi Haïngèrè. Avec l’avènement de Bounkani, les Lorhon vont connaître de profondes mutations socio-politiques et économiques.
Au plan social, alors que les Lorhon étaient organisés en lignages matrilinéaires, Bounkani va instituer un système de succession patrilinéaire. Pour forger une mentalité de conquérants à ses sujets, il les baptisa du nom de « koulango », ce qui veut dire, « ceux qui n’ont pas peur de la mort ». Il mit en place une stratification sociale comprenant par ordre hiérarchique:
– les Ibouo ou princes ( descendants en ligne directe de Bounkani et dignitaires du Royaume )
– les Koulango et autres populations
– les Worosso ( descendants d’esclaves )
– les Zaha ( esclaves ).
De même, à la suite d’une altercation avec sa mère, il décida d’appeler « gbona » la localité de « kwonkouô » ( ceux qui ne reculent jamais ) où il s’était réinstallé après avoir quitté Lankara.
La tradition orale relate sur ce point que Mantou, la mère de Bounkani avait l’habitude de préparer les repas de Bounkani avec de la viande de bœuf, et ceux de son fils cadet Fignogori, avec des grillons. Les mauvaises langues racontèrent alors à Bounkani que les mets que sa mère préparait pour son demi-frère, étaient meilleurs à ceux qu’il recevait. Furieux, et se sentant mal aimé depuis toujours par sa mère, qui lui reprochait en fait son tempérament violent et meurtrier, Bounkani décida de se venger en la tuant. Mais au moment où il allait passer à l’acte, sa mère sortit son sein et le lui montra en disant ceci ; « Bounkani, fouan gbona »? Ce qui veut dire en Koulango, « Bounkani, le grillon est-il plus gros que le bœuf ? ». A la vue du sein maternel, Bounkani tomba de cheval. En souvenir de cet épisode, il décida d’appeler « Gbona » la localité de Kwonkouô où avait eu lieu cette scène. Bouna est donc une déformation de « Gbona ».
A la tête de son armée, Bounkani va jeter les bases d’un nouvel Etat guerrier de type Dagomba. Il soumet rapidement les Lorhon, et avec leur aide, parvint à conquérir un vaste royaume situé entre la Comoé et la Volta-Noire. D’après les historiens, ce royaume constitue de très loin le premier Etat à pouvoir centralisé, à s’être formé dans les frontières de l’actuelle Côte d’Ivoire.
A la suite de violents combats l’ayant opposé aux descendants de Haïngèrè qui voulaient récupérer le trône, Bounkani va, en vue de faire définitivement la paix avec ses parents maternels, confier à ceux-ci, les fonctions de chefs de terre, réservant le pouvoir politique à ses descendants. Jusqu’à ce jour, cet accord n’a pas encore été remis en cause.
A la mort de Bounkani qui est aujourd’hui vénéré et adoré par tous les Koulango, le royaume s’étendait d’est à l’ouest, de la Volta-Noire à la Comoé; du sud au nord, de Nassian à Diebougou (actuel Burkina-Faso). Les descendants de Bounkani mèneront d’autres conquêtes pour agrandir le Royaume; au nord, ils iront jusqu’à Bobo-dioulasso, à l’ouest jusqu’à Marabadiassa, et à l’est jusqu’à Bolè (actuel Ghana).
Divisé en grands commandements militaires, le royaume de Bouna devenu riche et redoutable, contrôlait outre les riches gisements d’or du bassin de la Volta-Noire, l’axe commercial Niger-Accra, par Bobo-dioulasso, Begho, et Koumassi.
Des alliances seront passées avec le Royaume Ashanti, notamment avec le clan oyôkô, dont les ancêtres seraient originaires de Bouna.
A partir du 18e siècle, la puissance du Royaume de Bouna sera mise à rude épreuve par de nouveaux envahisseurs, les Abrons, fuyant la suprématie Ashanti. Malgré une vive résistance, les Koulango du sud du royaume (région de Nassian) seront envahis et soumis jusqu’au début du 20ème siècle au Royaume Abron. D’où l’influence de la culture Akan dans cette partie du Royaume.
Vers la fin de l’année 1896, le royaume de Bouna fut mis à sac par les troupes de l’Almamy Samory Touré, conduites par son fils Saranké Mory. Près de 80% des villages disparurent à tout jamais. Quant à la ville de Bouna, elle fut détruite le lundi 6 décembre 1896. Sa population que Binger estimait en 1889 à près de 10.000 habitants passa à 1000 habitants environ.
Ces lourdes pertes en vies humaines amorcèrent le déclin du royaume, lequel déclin sera accentué, d’une part, par la colonisation, d’autre part, par la conversion progressive des koulango à la religion islamique.
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