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La perception de la vie et de la longevité chez les Adjoukrou

La vision Adjoukrou de la longévité est fondamentalement théologique non sans exclure les facteurs socioculturels et environnementaux.

Pour l’Adjoukrou, de même que l’auteur de la vie-naissance est Dieu en tant que Origine Première des choses, de même seul Dieu « Nyam » décide de la durée de vie de l’individu. C’est pourquoi les actes de bienfaisance sont récompensés par une bénédiction stipulant la longévité: « Ké niagne ongue sel pkap », – que Dieu t’accorde une longue vie –

Cependant, certains comportements dans la société peuvent soit favoriser un allongement de la vie, soit réduire la durée de vie de l’être. Comme éléments à mettre au compte des facteurs favorisant, nous avons le respect des prescriptions divines qui sous-entend le respect des lois de la nature, l’observance des normes et des valeurs dont les personnes âgées en sont les garants. Respecter la nature est très utile pour l’homme, car les Adjoukrou comme la plupart des sociétés africaines, pensent que dans l’univers, chaque élément de la nature (la terre, l’eau, le vent, l’arbre…) est animé par des génies qui ont le pouvoir, dans leur courroux d’infliger le malheur au déviant. C’est s’attirer le malheur que de ne pas observer le jour de repos des génies, tout comme de manquer de tenir ses promesses envers les dieux ou les génies. Dans ces cas, les forces surnaturelles retirent à l’individu leur protection et leur bienveillance. Ainsi, devient-il la cible des sorciers « ag’nu » et les projets de vie connaissent des controverses.

Avoir de l’égard pour les personnes âgées, c’est témoigner du prix pour les ancêtres et avoir un intermédiaire entre l’individu et les divinités. En effet, les offices religieux telles que les libations sont présidés par les ebebu, et les doyens d’âge. C’est d’ailleurs ce qui justifiait le fait que dans la société traditionnelle Adjoukrou, les chasseurs offraient aux ebebu le thorax du gibier et que les cultivateurs leur offraient les prémices de leur récolte. Ces actes de générosité leur valaient en retour des prières de bénédiction et de prospérité. Plus encore, le comportement de l’homme obéissant amenait les vieilles personnes à lui enseigner les secrets de vie qui consistaient dans une large part à se défendre contre l’adversité. De ce qui précède, nous décelons que vivre longtemps ou vouloir vivre longtemps commande un respect des lois de l’univers qu’on peut résumer dans cette trilogie non exclusive:

-respecter Dieu (Nyam)
-respecter la nature (les génies)
-fréquenter les vieux.

C’est dans la fréquentation des personnes âgées que l’on rentre dans l’intimité de Dieu et obtient la connaissance de la nature.

A côté des facteurs favorisant, nous avons aussi les facteurs défavorisant qu’il nous convient d’appeler les nuisances sociales.

Il s’agit des actes et des comportements déviants qui rompent l’équilibre entre l’individu et sa famille ou sa communauté, entre l’individu et les divinités ou les forces surnaturelles. Les conduites déviantes et les actes répréhensifs sont des fissures qu’exploitent les forces maléfiques et les sorciers, pour jeter des sorts à leurs ennemis.

Selon les données, recueillies sur le terrain, l’un des actes déviants les plus réprimés est le vol. voler dans la société Adjoukrou, c’est risquer sa vie et jeter l’infamie sur toute sa famille. Parfois, les victimes à travers des incantations recommandent l’inconnu voleur à la mort et à la malédiction extrême. Généralement, l’on pense que ce sont de ces actes déviants que découlent les maladies graves qui font appel à l’intervention des dévins-guérisseurs.

Tout ceci concourt à déterminer la longévité par des facteurs socioculturels qui ont une dimension horizontale et une dimension verticale. La dimension horizontale réside dans les rapports entre l’individu et la société. Et la dimension verticale met en relief les rapports entre l’individu et Dieu (Nyam) d’une part et entre l’individu et la nature d’autre part.

Ces deux facteurs induisent inéluctablement deux typologies de vieillissement. Le vieillissement réussi et le vieillissement pathologique.

Le vieillissement réussi qui signifie exclusivement l’absence d’un état pénible de vieillesse notamment les maladies séniles graves, est accordée aux individus qui ont montré de l’intérêt pour les normes et les valeurs de la société. Et l’Adjoukrou manifeste sa reconnaissance envers Dieu à l’occasion de la célébration de l’ebeb, fête dont les bases ont été posées depuis plus de quarante ans. A cet effet, tenant compte des contextes modernes et traditionnels, les ebebu participent aux cultes d’action de grâce dans leur Eglise respective, tout en participant aussi à des cérémonies de libation.

En revanche, le vieillissement pathologique entremêlé de souffrance et de maladies dégénératives, est une sanction contre les individus asociaux.

Source: Etude socio-anthropologique de la contribution des institutions sociales à l’allongement de la vie: l’exemple de l’ebeb chez les Adjoukrou
par Fato Patrice KACOU
Université de Cocody-Abidjan (Côte d’Ivoire) – Diplôme d’Etude Approfondie (DEA)

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