Les Tchaman ou ébrié
Les Tchaman ou ébrié occupent, sur la rive nord de la lagune du même nom, une bande de terre d'environ dix-huit kilomètres allant de la lagune Potou à l'est où ils vivent avec les Attié et les Abouré. Passé le fleuve Agnéby (à l'ouest) commencent les villages adjoukrou. Les Tchaman se localisent au sud de la Côte d'Ivoire et sont membres du grand groupe ethnique et linguistique akan. Ils sont pêcheurs et paysans. Le nom « ébrié » fut donné par les Abouré à leurs voisins de l'est.
Selon la légende, c’est sous la conduite d’Otchogbi, un homme de petite taille, remarquable par son courage, que les Tchaman sont partis de Sandie, petit village situé à l’ouest de l’actuel Ghana, lors du grand mouvement d’immigration du groupe akan en Côte d’Ivoire entre le xve et le xviiie siècles. Les guerres incessantes entre les populations trop nombreuses furent à l’origine de ces migrations. Les membres de ce groupe ethnique seraient une fraction des premiers Abrons émigrés en Côte d’Ivoire au début du xviie siècle.
à l’instar des Abron (qui ne parlent que koulango), ils auraient, au cours des nombreux déplacements, abandonné leur langue d’origine pour celle qu’ils utilisent de nos jours dans la communication quotidienne. Mais les habitants de Cocody se disent autochtones, tandis que ceux du village d’Anna seraient venus d’une migration de l’Ashanti en passant par Bonoua. Quant à ceux d’Akwadjamé ils gardent le souvenir d’un premier village qu’ils situent à Bago, près de Dabou. Enfin, ceux de Blockhaus (boloko, « le vieux ») seraient là depuis près d’un siècle.
Les Tchaman occupent neuf tribus goto : Kwè, Bidjan (Kobriman), Yopougon, Nonkoua, Songon, Bobo, Diapo, Bia et Niangon.
L’organisation politique traditionnelle des Tchaman repose sur le système des classes d’âge apasa. Tout Tchaman se situe dans la société par la classe d’âge dont il relève tout autant que par son village ou par son clan. L’ensemble de la population, hommes et femmes, comprend quatre classes d’âge, qui se succèdent dans un ordre immuable : dougbô, tchagba, blésswé, niando. Les quatre classes se partagent le village, deux occupent le haut, deux le bas.
Celles-ci sont toujours présentes toutes ensemble. Une nouvelle classe est formée environ tous les 16 ans. Ce qui donne un cycle de 16 x 4 = 64 ans. Les fils des blésswé sont toujours dougbô, et les fils niando sont toujours tchagba. Il y a en pays tchaman quatre échelons : « enfants » (de 16 à 32 ans), « guerriers » (de 32 à 48 ans), hommes mûrs » (de 48 à 64 ans), « vieillards » (de 64 à 80 ans). L’âge moyen est de 16 ans pour entrer dans le système des classes d’âge. Mais, dans certaines régions, il est de 20 ans.
Les générations abèpasa sont divisées en quatre sous-classes ou catégories appelées abè. Les fils d’un même père seront toujours de la même classe d’âge mais de sous-classe différente. Ainsi, nous avons dans l’ordre : djéou (fils aînés), dogba (fils puînés), agban (fils cadets), assoukrou (fils benjamins). Au niveau des sous-classes, nous retrouvons également le principe des alliances : ainsi djéou et dogba demeurent des classes rivales (tout comme agban et assoukrou); les alliances existent entre aînés et cadets, entre puînés et benjamins. La vie culturelle, religieuse et politique repose sur l’organisation des générations d’habitants.
Ainsi, le guide ou père de la sous-classe ou abè oté est le premier né djéou. En principe, c’est le plus âgé d’entre eux sans distinction de clan. Il transmet les instructions reçues concernant l’exécution des travaux d’intérêt public. Il est leur porte-parole. Il peut aller jusqu’à être le chef du village ou akoubè oté (akoubè « village », oté « père ») lorsque sa classe d’âge parviendra à l’échelon des « hommes murs » dans la gestion des affaires du village. Selon G. Niangoran-Bouah, ce principe des classes d’âge met en évidence le caractère militaire du système politique tchaman.
Le chef du village akoubè oté gouverne avec quatre ou cinq anciens n’kpomaman (singulier, n’kpomanwo) de sa génération, à raison de trois pris avec lui dans la première sous-classe (celle des fils aînés djéou) et deux dans la seconde (celle des puînés dogba). Le chef du village, dans l’ordre traditionnel, n’est ni le chef guerrier ni son doyen, pas plus que l’homme le plus âgé d’un clan déterminé. Il est le chef reconnu de l’échelon d’âge qui réunit les « hommes mûrs » de 45 à 60 ans avec l’approbation de nanan ou akoubè nanan (patriarche). Autrefois, ce dernier était le plus vieil homme du village. Il était nommé par le conseil des anciens et était également la dernière instance juridique du village. Son rôle était très important dans les domaines religieux et politique. Il possédait des pouvoirs plus étendus. On l’appelait même bringbi (roi).
La notion tchaman de « village sous le gouvernement d’une classe d’âge » (tchagbakoubè : village sous les tchagba) exprime cette indivisibilité du groupe et l’identification du groupe avec le pouvoir qu’il assume pour un temps déterminé.
L’ako est quant à lui un dignitaire important dans l’institution des classes d’âge tchaman. Il est le conseiller, le « bailleur de fonds » de la classe d’âge. Il est choisi parmi les aînés. Il joue le rôle de tuteur ou parrain; il est élu en secret par la nouvelle génération à la veille de sa formation. Il plaide la cause de ses filleuls devant les aînés qui sont ses pairs. C’est lui qui fixera également la date du fatchué ou afatchué, qui officialisera la sortie de la classe d’âge ou de la génération. La charge de l’ako est onéreuse. Celui-ci procure à ses frais les tambours que la classe d’âge utilise pendant la fête de génération.
Chez les Tchaman, la filiation est matrilinéaire : les enfants appartiennent au groupe de leur mère; les fils cultivent les terres qui leur viennent d’un oncle ou d’un grand-oncle. Dans le village, chaque clan possède un doyen le mandou boroko ou mandou moloko. Il est le gardien de la chaise tiagbo qui est l’insigne du clan, apaise les conflits entre ses cadets, gère les biens (immeubles, meubles de la communauté), distribue des terres aux jeunes, se porte garant des dettes contractées et amendes; enfin, il défend l’honneur du clan.
Aspects de l’art musical des tchaman de Côte d’Ivoire – AKA Konin, 2010
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